Taux minimal mondial d’impôt sur les société à 15% : une machine de guerre et deux rideaux de fumée

  • 15% et puis basta, ce serait le solde de tout compte et pour le coup le compte n’aura jamais été aussi bon pour les multinationales, le capital et leur avidité de profit ;
  • une pompe à bas taux de fiscalité partout dans le monde ;
  • une base hyper-réduite à partir d’une assiette déjà rabotée de toutes parts par les divers procédés d’évasion et d’optimisation fiscale existants (du carry back au principe du bénéfice mondial consolidé en passant par la fiscalité de groupe, les divers crédits d’impôts…).
  • la taxation des multinationales met en lumière ce grand enjeu de nos sociétés modernes : maîtriser ou, du moins, orienter autrement l’action des multinationales sur nos pays.

Nous ne nous résignons pas à laisser les multinationales quittes de leurs agissements par un impôt qui serait un solde de tous comptes. Outre leur fiscalité est posée la question de leur contribution à l’emploi, à l’écologie, à la santé, aux territoires, aux connaissances et aux biens communs.

1- Un taux à 15% est une machine de guerre contre le social et les services publics

Premier acte : Joe Biden déclare qu’il va fixer un taux minimal d’imposition des bénéfices des multinationales à 25%. Soudain l’UE et les gouvernements européens osent dire « c’est très bien ». Mais en sous-main, le capital s’est activé.
Deuxième acte : Joe Biden fait savoir qu’il défendra un taux minimal à 21%. « Merci patron ! », disent en chœur les Etats européens et la Commission, même si c’est plus bas.
Troisième acte, c’est 15% qui est annoncé !
C’est un taux de dumping fiscal. Il a suffi que le grand capital fronce les sourcils en coulisse pour mettre au pas les États !
Est-ce la fin de la tragédie-farce ? Nous verrons bien.
En tout cas, un taux à 15% serait une machine de guerre contre le social et les services publics.
L’IS est en grand danger.

2- Le taux : un brouillard de fumée pour cacher l’assiette

Centrer le débat sur le taux permet de cacher l’assiette, c’est à dire le bénéfice imposable. C’est en partie un piège. A quoi bon, en effet, appliquer un taux élevé de taxation des profits si une grande partie du bénéfice échappe à l’impôt ? Et du coup il y a un monde entre le taux dit « facial », ce fameux 15%, et la part du bénéfice qui est effectivement imposée, le taux dit « effectif ».
En France, le taux facial de l’IS était de 31% en 2019, mais le taux effectif peut être estimé à 8,6% ! Il rapporte le produit de l’IS à l’excédent brut d’exploitation (EBE) des sociétés . Cet écart, vient de ce que l’assiette « bénéfice imposable » de l’IS est totalement mitée. En outre sa répartition par pays est sujette à caution (1).

Une grande partie du bénéfice échappe à l’impôt principalement pour trois raisons.

  • Chaque pays applique des règles qui exonèrent de grande parties du bénéfice, ou le soumettent à un taux plus faible : par exemple, en France les recettes des brevets sont des profits qui sont taxés à un taux de 10% en 2029, plus faible que les autres profits, ou encore on retire du bénéfice imposable les charges d’intérêts payés par les entreprises aux banques.
  • Les procédés d’optimisation fiscale entre les filiales d’une même multinationale ont pour conséquence de transférer une partie de ce bénéfice dans les pays à faible fiscalité, les fameux paradis fiscaux. Ils procèdent pour cela en faisant payer à une filiale divers droits (redevances, frais de marques, management fees, locations, …) prix de transferts ou charges d’intérêts, fixés de façon plus ou moins conventionnelle qui sont autant de prélèvements intra-groupe sur la valeur ajoutée, et donc sur le bénéfice, de cette filiale au profit de la filiale située dans le paradis fiscal, où vont par exemple être domiciliés les brevets.
  • La fraude fiscale proprement dite.

3- Agir sur les transferts est l’enjeu majeur pour agir sur la fiscalité des multinationales

Il s’agit bien évidemment de fixer de nouvelles règles pour les différents transferts de valeur ajoutée et de bénéfice entre entreprises. C’est l’objet de la grande négociation en cours à l’OCDE, avec le projet BEPS (base erosion and profit shifting). Il faut aussi des règles de répartition mondiale de la VA et des profits, entre pays. Une sorte de clé de répartition.

Mais il faut aussi trois choses :

  • un service public de la fiscalité des entreprises doté de moyens humains et juridiques,
  • des coopérations (européennes et mondiales) entre services publics fiscaux avec des outils spécifiques, impliquant aussi les banques qui voient passer presque tous les flux
  • des droits nouveaux des travailleurs : une possibilité d’intervention et d’alerte des travailleurs des multinationales concernées (en lien avec les populations et les lanceurs d’alerte) sur les pratiques de transferts de valeur par leur multinationale

Dans l’immédiat, un tout autre pouvoir politique pourrait agir à partir de la France, en allant progressivement vers l’application d’une taxation calculée sur la base du bénéfice mondial, sur la base de sa répartition par la masse salariale située en France et la part des ventes finales. Nous voulons entrer dans un compromis de combat pour des progrès sociaux, le plus élevé possible, avec les multinationales situées en France, si elles y développent l’emploi, la valeur ajoutée, les bonnes productions du point de vue écologique.

4- Un second écran de fumée : l’impôt pour solde de tous comptes !

Derrière tout cela, se situe une opération idéologique. La seule chose à imposer aux multinationales, serait de payer leur « juste part de l’impôt ». Mais c’est leur comportement, leur gestion, leur façon d’agir, leurs investissements, leur production, leur relation à l’emploi, qui pose problème et qui doit être l’enjeu de toute la société.
Les mouvements citoyens (écologistes par exemple), les mouvements sociaux mettent précisément en cause les comportements des multinationales en matière d’emploi, d’écologie, de santé, de données, de localisation, de monopoles technologiques.

Pour nous, cette question de la taxation des multinationales doit permettre de mettre en lumière ce très grand enjeu de nos sociétés modernes : comment maîtriser ou, du moins, orienter autrement l’action des multinationales sur nos pays. Nous ne nous résignons pas à laisser les multinationales quittes de leurs agissements, avec le capital qui les pilote, par un impôt qui serait solde de tous comptes.

Il faut bien sûr poser la question de la fiscalité, la répartition de leurs résultats. Mais il faut aussi imposer aux multinationales d’autres types de « résultats », d’autres types de production, une autre contribution à l’emploi, à l’écologie, aux territoires, aux connaissances et aux biens communs.
Pour cela, nous mettons au centre de notre projet de société la conquête de leviers nouveaux d’intervention démocratique pour une autre utilisation de l’argent des entreprises et des banques, avec de nouveaux pouvoirs des salariés et des populations sur les gestions des entreprises. Cette question est devenue d’une actualité brûlante.

(1) On l’a calculé en rapportant le produit de l’IS, tel que donné par la Cour des Comptes dans le suivi de l’exécution du budget 2019 (soit 33,5 milliards d’euros) et l’excédent brut d’exploitation (EBE) des sociétés financières et non financières, donné par l’Insee, pour 2019 (389 milliards = 18 milliards + 371 milliards). C’est une approximation pour de nombreuses raisons, notamment le fait que l’EBE ne comprend pas les plus-values de cessions et diverses recettes exceptionnelles des sociétés. 33,5/389 = 8,6%

1 Comment

  1. L’IS (impôt société) était de 50% depuis la Libération (et même 60%, nous dit Roland Farré qui était inspecteur des impôts), et la droite et les socialistes n’ont eu de cesse de le diminuer jusqu’à 25 % ! C’est une lutte qui n’a pas été assez menée, de même que la Présidentielle, la nouvelle artithmétique : 23% au premier tour = 100% de pouvoir au 2ème !!!

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