Traduit de l’allemand, Tredition, Hambourg, 2020
Larry Fink, PDG de BlackRock, Felix Rohatyn, banquier chez Lazard et ambassadeur des États-Unis en France, Jeff Bezos qu’on n’a pas besoin de présenter à ses millions de clients, Jack Ma le milliardaire chinois, Emmanuel Macron… dans l’ouvrage de Werner Rügemer, la finance a des noms, des visages !
La première partie du livre nous convie à un voyage dans le monde de la libre circulation des capitaux, des fusions et acquisitions, de l’évasion fiscale. Les « nouveaux acteurs du Capital en Occident » sont répertoriés en neuf catégories, dont le fonds de gestion de portefeuille BlackRock constitue presque à lui seul la première. L’auteur le considère comme l’organisateur universel du pouvoir du capital, au-dessus des autres catégories qui vont des hedge funds aux « capitalistes d’Internet », les GAFAM.
Cette façon de présenter la financiarisation contemporaine est sans doute – avec la médiocre qualité de la traduction – le point faible de l’ouvrage. L’auteur semble considérer que les « banques traditionnelles » ne jouent qu’un rôle subordonné, alors qu’en réalité le rôle tout particulier que leur donne leur pouvoir de création monétaire n’a pas du tout disparu à l’issue de la crise de 2008. Par exemple, en décrivant les institutions du private equity, il ignore l’« effet de levier » qui est la base de leur métier : emprunter massivement aux banques pour multiplier d’autant les gains tirés de l’achat d’entreprises à bon compte, puis de leur revente après « dégraissage » (les LBO, Leveraging Buy Out). Plus surprenant encore, les banques centrales, et la fonction vitale qu’elles exercent dans la crise actuelle, ne font pas partie des « acteurs du capital » présentés dans l’ouvrage. Les fonds de pension et les compagnies d’assurances non plus, malgré les masses énormes de fonds que ces institutions centralisent et mettent au service des capitaux dominants.
Pour une analyse beaucoup plus rigoureuse et scientifique de la mondialisation financière contemporaine, on pourra donc préférer un ouvrage comme celui de François Morin 1 qui montre comment une trentaine de banques systémiques en constituent le rouage essentiel. Faute d’une telle analyse, Les capitalistes du 21ème siècle vaut surtout par sa dénonciation très documentée des aspects les plus odieux de la financiarisation contemporaine, et de son influence sur la vie politique des puissances occidentales. Il est important, par exemple, d’apprendre en lisant Werner Rügemer que la « charte éthique » que BlackRock s’est offert le luxe de se donner, a pour objectif suprême de « dépasser les attentes de nos clients » – les plus gros détenteurs de patrimoines financiers sur la planète – avec des salariés traités comme du « capital humain ».
Une solide référence à la tradition marxiste prévient cette dénonciation de céder à la tentation du complotisme. On partagera également le diagnostic, formulé dans la deuxième partie de l’ouvrage, d’une subordination accrue du capital européen à celui des États-Unis, et on jugera bienvenue la troisième partie consacrée à mettre en évidence, de façon très documentée, la Chine et sa nouvelle puissance comme facteur d’une autre mondialisation possible – même si on peut penser que la formule « un capitalisme sous direction communiste » ne rend pas tout à fait compte de la complexité et des contradictions de l’expérience chinoise contemporaine.
Et on sera reconnaissant à l’auteur d’avoir contribué à montrer, comme il le remarque en introduction de l’ouvrage : qu’« il n’est pas vrai – comme le prétendent certains altermondialistes – que le Capital contemporain tourne autour de la planète comme une fiction numérique, sans incarnation physique et échappant aux lois de la gravité, et qu’il n’aurait plus rien à voir avec l’économie réelle ».