Et les PME ?

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Un des aspects les plus angoissants de la crise est la situation de centaines de milliers d’entreprises, petites, très petites ou moyennes. Celles qui exercent leur activité dans la restauration, le commerce, le tourisme, où l’activité s’est effondrée du fait du confinement. Mais aussi celles qui dépendent d’un grand groupe qui aura décidé de mettre fin à ses commandes ou de les réduire drastiquement.

En période de confinement, les recettes disparaissent mais les entreprises doivent continuer à payer les salariés (en bénéficiant du financement du chômage partiel) et les fournisseurs. Leur permettre de disposer de la trésorerie nécessaire est la première urgence. Mais on sait aujourd’hui qu’il faudra plusieurs années pour retrouver l’activité économique de 2019. Pour y parvenir, il faudra qu’elles augmentent leurs dépenses de salaires de formation et qu’elles développent leurs achats et leurs stocks, voire qu’elles investissent dans le renouvellement de leurs outils de production.   

Comment ces entreprises feront-elles pour tenir pendant tout ce temps ? Si elles disparaissent, on commence à peine à imaginer les conséquences pour l’emploi. Ce sont des centaines de milliers de salariés, d’entrepreneurs individuels, de petits patrons qui vont être rejetés dans le chômage.

Est-il possible d’empêcher cette catastrophe ?

Le gouvernement a mis en place quatre types de mesures destinées, dit-il, à venir en aide aux TPE-PME.

  • un « fonds de solidarité » qui verse aux TPE et aux indépendants touchés par l’interdiction de recevoir du public une aide de 1 500 euros par mois, pouvant atteindre 10 000 euros dans certains cas. Au 19 novembre 2011, ce fonds avait distribué 6,6 milliards d’euros d’aides à 1,751 million d’entreprises et le dernier projet de loi de Finances rectificative prévoir d’aller jusqu’à 11 milliards ;
  • un soutien aux « bailleurs solidaires » sous la forme d’un crédit d’impôt aux propriétaires de locaux loués à des PME de moins de 250 salariés qui acceptent de renoncer à un mois de loyer : en somme, un soutien au capital foncier ;
  • une exonération totale de cotisations sociales pour les entreprises fermées administrativement et pour les PME de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme qui ont perdu plus de la moitié de leur chiffre d’affaires. Imperturbablement, ce gouvernement poursuit sa politique de baisse du coût du travail dont les effets délétères sur l’économie et l’emploi sont pourtant prouvés ;
  • une aide à la « numérisation » des commerçants et artisans… qui risque fort d’être une incitation supplémentaire à la suppression d’emplois salariés.

Des prêts garantis par l’État
mais coûteux pour les PME-TPE

Finalement, le dispositif de loin le plus important est celui des prêts garantis par l’État, dont 124 milliards d’euros (sur les 300 milliards annoncés par Bruno Le Maire) avaient été distribués au 30 octobre (Voir dans ce numéro l’article d’Alain Paker). Ce sont les banques qui avancent les fonds – mais uniquement parce que l’État les exonère de tout risque en s’engageant à prendre à sa charge, par le truchement de BPI France, la perte en cas de non-remboursement. Même avec un tel parapluie, le bilan des PGE montre que les banques orientent leurs financements essentiellement vers les PME qui disposent d’actifs matériels pouvant servir de garantie ; c’est ce qui explique, par exemple, que le commerce et la réparation automobile soient au premier rang des secteurs destinataires de ces prêts.

En plus, s’il est dit que les banques dispensent ces crédits « à prix coûtant », ils font néanmoins peser une lourde charge financière sur les entreprises destinataires car celles-ci doivent supporter le coût de la garantie d’État, qui croît fortement avec la durée du crédit.

Déjà, la question du remboursement de ces prêts se pose, et le gouvernement a dû en repousser l’échéance de quelques mois. Comme beaucoup d’entreprises ne seront pas capables d’y faire face, on envisage de transformer les prêts bancaires en « quasi-fonds propres » apportés par l’État qui représenteront à la fois un coût très élevé pour les finances publiques et une incitation à une gestion des PME encore plus contrainte à la recherche de la rentabilité financière.

En un mot, toutes les mesures mises en place jusqu’à présent ont consisté à dépenser beaucoup de fonds publics dans une logique de soutien à la rentabilité du capital, sans alléger réellement le coût du capital pour les TPE-PME et sans qu’aucun effort réel soit demandé aux banques, ni aux grands groupes qui tiennent souvent entre leurs mains la vie de nombreuses PME et TPE.

Nous proposons une logique radicalement inverse : au lieu de réduire le coût du travail pour renforcer la rentabilité de l’entreprise, un dispositif spécial de sécurisation de l’emploi et de la formation dans les TPE-PME viserait à réduire massivement le coût du capital qui pèse sur elles afin de leur permettre de dépenser davantage en salaires, en actions de formation, en R&D.

Des crédits bancaires bonifiés
pour faire baisser le coût du capital

Ce dispositif serait conçu pour imposer aux banques et aux grands groupes d’assumer leur responsabilité sociale et écologique en contribuant au fonctionnement de ce dispositif. Les grands donneurs d’ordres s’engageraient, dans le cadre de conférences régionales pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique, à sécuriser leurs commandes à leurs sous-traitants, et un prélèvement exceptionnel sur leurs profits viendrait financer le fonds national d’urgence sanitaire et de sécurisation dont le PCF propose la création. En outre, ils seraient tenus d’accorder des facilités de paiements à leurs sous-traitants.

Les banques, elles, seraient tenues de participer à un dispositif de crédits à des conditions favorables aux PME-TPE qui s’engageraient à maintenir l’emploi, les salaires et à développer leur capacité à produire des richesses de façon écologique.

Chaque conférence régionale pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique pourrait ainsi se doter d’un programme de préservation de l’emploi dans les PME-TPE. Toute entreprise désireuse de bénéficier de ce programme présenterait un projet de développement, incluant des objectifs chiffrés de maintien et, le cas échéant, de développement de l’emploi et des salaires, et des objectifs de création de valeur ajoutée pour les 5 prochaines années.

Le projet serait examiné par le fonds régional pour l’emploi et la formation (voir dans ce numéro l’article de Denis Durand « Les fonds régionaux, locaux et national, un bras financier des conférences pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique »), avec la participation de la Banque de France et de la DIRECCTE. Le contenu du projet serait discuté avec le chef d’entreprise et, dans les entreprises employant des salariés, avec ceux-ci ou leurs représentants afin de rendre maximale sa contribution à l’emploi et à la consolidation économique et écologique du territoire.

Tout projet ainsi déclaré viable donnera à l’entreprise le droit de bénéficier d’un crédit à cinq ans d’échéance, accordé par une banque désignée par la Banque de France. Ce crédit sera assorti d’une garantie accordée par BPI France et pouvant aller jusqu’à 80 % du montant prêté. Le coût de cette garantie pour l’entreprise pourra être couvert par la bonification d’intérêt associée au crédit, comme indiqué ci-dessous.

Les fonds ainsi prêtés par la banque serviront à couvrir les besoins de trésorerie de l’entreprise en période d’interruption de son activité, mais aussi à préparer le renforcement de sa capacité à créer de la valeur ajoutée, à payer des salaires et, autant que possible, à embaucher. Ils pourront financer les investissements matériels, mais aussi couvrir l’augmentation du besoin en fonds de roulement, qui pourront être nécessaires à ce développement de son activité.

Des aides modulées
en fonction de la contribution
des entreprises à la sécurité
de l’emploi, à la formation
et à la transformation productive
et écologique

Plus l’entreprise s’engagera à prendre ainsi sa part à la sécurisation de l’emploi et à la transformation productive et écologique du tissu économique, plus le coût de ce crédit sera réduit pour elle, jusqu’à le rendre nettement négatif dans les cas les plus favorables. Deux dispositions y concourront.

En premier lieu, la Banque de France le déclarera éligible au refinancement aux conditions pratiquées par la BCE (actuellement un taux de -1 %) ;

En second lieu, le fonds régional pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique versera à l’entreprise emprunteuse une bonification d’intérêt d’autant plus élevée que l’effet du projet de l’entreprise sera plus efficace en termes de sécurisation de l’emploi et de la formation.

On peut par exemple imaginer un taux de bonification de base de 2 points, assorti au crédit accordé aux PME-TPE qui s’engagent à maintenir l’emploi et les salaires dans les cinq prochaines années. Dans la plupart des cas, cette bonification se traduirait pour l’entreprise par une annulation des charges d’intérêt, rémunération de la garantie comprise. Des points supplémentaires de bonification seraient attribués si le projet d’entreprise comporte par exemple des embauches et des actions de formation des salariés.

Cette disposition se traduit a pour effet de mettre à la disposition de l’entreprise un montant significatif de fonds publics : jusqu’à 50 % du montant du prêt si la bonification d’intérêts est, par exemple, de 10 points sur 5 ans.

On peut ainsi estimer qu’en engageant 20 milliards d’euros de fonds publics chaque année pendant cinq ans – le coût actuel du CICE – dans des bonifications d’intérêt de 5 points de pourcentage en moyenne, et en supposant que le dispositif bénéficie à 80 % des TPE, soit 1,6 million d’entreprises, les bonifications d’intérêt versée à chaque TPE s’établiraient à 12 500 euros par an soit 62 500 euros pour cinq ans.

Ces bonifications accompagneraient 400 milliards de crédits nouveaux. Rappelons que la BCE s’est déclarée prête à augmenter ses refinancements de 3 000 milliards pour l’ensemble des banques de la zone euro, ce qui correspond à 600 milliards pour les banques françaises.

Pour prendre un exemple, une entreprise se situant dans la moyenne des TPE recevrait immédiatement une avance de fonds de 250 000 euros (soit l’équivalent de son chiffre d’affaires annuel) dont elle ne rembourserait, au bout de cinq ans, que 187 500 euros. À la différence d’une simple subvention publique, cette aide est subordonnée à un engagement de l’entreprise en faveur des objectifs décidés dans le cadre de la conférence de sécurisation de l’emploi et de la formation. Tout manquement à cet engagement peut faire à tout moment l’objet d’une sanction graduée : de la suspension de la subvention au remboursement anticipé du crédit. Il y a là un élément de prise de pouvoir démocratique sur les décisions stratégiques des entreprises.

Plus encore que l’aide directe apportée aux entreprises concernées, cette avance massive de fonds serait le facteur stratégique d’une relance de l’emploi, de l’activité et de l’efficacité économique, sociale et écologique des TPE-PME : précisément ce dont nous avons besoin pour sortir de la crise en commençant à émanciper notre économie de la domination du capital.