Les services publics, moteurs d’une nouvelle efficacité vers un autre système !

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La crise sanitaire qui secoue la planète, symptôme d’une crise de système sans doute entrée dans sa phase paroxysmique, n’en n’est cependant pas la cause. A la fois révélateur et accélérateur de convulsions économiques et financières aux conséquences inouïes pour les populations avec des risques sérieux d’entrée en dépression mondiale, l’épidémie du coronavirus pointe comme jamais, le besoin d’une nouvelle maîtrise publique et sociale. L’enjeu est de répondre sur le fond et dans la durée aux exigences de développement humain et de protection de l’environnement contre la prédation dévastatrice des marchés financiers. C’est-à-dire en France et en Europe par exemple, l’exact contraire des politiques conduites depuis au moins quatre décennies au nom de la réduction de la dépense publique et sociale afin de se plier à la contrainte des traités européens, de Maastricht en passant par le traité de Lisbonne jusqu’au TSCG (1), dont l’alpha et l’oméga sont la réduction des déficits publics et le soutien au monétarisme.

La chasse à la dépense publique sport favori des ultra-libéraux, s’est déployée en France sous diverses formes : de la « modernisation de la Fonction publique » en passant par la RGPP, la Réate, la loi Notre, la loi NOME, la réforme ferroviaire, la T2A, la loi HPST et la MAP jusqu’au projet CAP 2022 (2) qui prévoit la suppression de 120 000 fonctionnaires. En arrière-plan sont la casse des statuts, des garanties collectives, de la protection sociale et la suppression massive d’emplois publics. Ces politiques ont entraîné un double mouvement de privatisations et de disparitions pures et simples de certaines missions publiques ; donc des services qui les exerçaient, avec des conséquences considérables pour les populations. Un des exemples notoire et d’une brûlante actualité a été l’application du numérus clausus. Le calcul était totalement froid et cynique. Former moins de médecins était le plus sûr moyen de réduire les consultations, de limiter l’accès aux soins et à l’hôpital ; en clair de réduire les dépenses de santé. Chacun peut constater l’ampleur du désastre : déserts médicaux, hôpitaux et services fermés débouchant sur l’incapacité de répondre à la demande en cas de situation sanitaire grave comme celle que nous vivons en ce moment.

Au plan mondial, l’épidémie du coronavirus est une sorte de manifestation extrême des politiques néolibérales mises en œuvre sous la férule des exigences de rentabilité du capital. En effet, l’éclosion d’une épidémie devenue d’ailleurs pandémie, n’a pas simplement pour origine la dégradation des services de santé dans un grand nombre de pays sur la planète. Bien sûr qu’elle pointe les manques, les béances, l’incapacité des services de santé à faire face aux besoins, particulièrement dans le domaine des traitements. Mais elle renvoie inévitablement à la dégradation considérable des conditions de vies dans le monde comparativement aux besoins liés entre autres à l’augmentation de la population mondiale passée de 4,46 milliards en 1980 à 7,53 milliards en 2018 (+ 69 %) alors que dans le même temps, la dépense publique mondiale est passée seulement de 23,69% à 27,14% du PIB mondial (3). Cela éclaire sur l’énorme déficit d’éducation, de logements, d’eau courante, d’accès à l’énergie, de nourriture, de protection sociale (70% de la population mondiale ne dispose pas d’une protection sociale adéquate), d’entretien de l’espace public mais aussi d’emplois auquel s’ajoute la dévastation de régions entières par des conflits meurtriers mettant sur les routes des millions d’individus, sans protection aucune. En fait, autant de leviers, autant d’éléments qui conditionnent le niveau de protection sanitaire des populations et donc les capacités de prévenir les pandémies.

Face aux besoins nouveaux : la duplicité du discours !

Ébranlés, pris de court et à rebours les principaux dirigeants des pays capitalistes tâtonnent, n’en sont pas à une volte-face près, certains semblent faire leur mea-culpa, d’autres affichent un cynisme imperturbable.

C’est dans ce registre que E Macron, déclarait le 16 mars sur fond d’appel à l’union sacrée, que « la santé gratuite pour tous, que l’Etat providence n’étaient pas des charges ou un coût mais des biens précieux… » Dans la foulée, ministres et grands médias se sont mis à disserter sur d’éventuelles nationalisations. Le gouvernement a annoncé des aides mais sans aucuns critères sociaux. Il en va ainsi des garanties de prêts bancaires pour les entreprises (300 milliards), des compensations de cotisations sociales, de contributions fiscales et d’un soutien direct aux activités économiques (100 milliards). Le soutien à la santé publique c’est 4 milliards qu’on attend encore. Chassez le naturel, il revient au galop. Plusieurs jours après, les actes restent loin des paroles. Les citoyens, les professionnels attendent toujours masques, gels hydro-alcooliques et tests. Pire un plan de relance de l’hôpital public élaboré à la demande de l’Élysée par la Caisse des Dépôts et Consignations propose tout simplement d’accélérer la privatisation des établissements hospitaliers en les soumettant de plus en plus étroitement à la loi des marchés financiers.

En digne thuriféraire de la finance, E Macron derrière un discours rassurant poursuit le dépeçage des services publics et la mise à disposition des marchés financiers de l’argent public. C’est cette logique qu’il faut combattre radicalement. Nous sommes entrés maintenant de plein pied dans ce temps-là ! Nous sommes entrés dans le temps de la construction d’une alternative radicale mais réaliste et crédible, c’est-à-dire produisant des effets concrets et positifs pour la vie des gens en même temps qu’elle poserait les fondations d’un nouveau système pour l’émancipation humaine.

Le temps des services publics est venu.

Si la crise du coronavirus met à rude épreuve les populations, elle révèle également le choix profond de E. Macron et du MEDEF de sauver le capital. A mille lieux de la prise en compte des besoins populaires, leur obsession est de maintenir la chaîne des profits. En face, conditions de travail et de vie des citoyens, droits sociaux et libertés publiques pèsent bien peu.

On peut ainsi imaginer combien, à l’issue de l’épisode aigu de la crise sanitaire, au cours duquel l’obsession du gouvernement aura été de rationner les moyens nécessaires à la protection des humains, Macron et ses ministres vont tout tenter pour peser sur la demande publique et sociale afin, dans un contexte de rivalité aigüe entre Etats, de s’attirer la confiance des marchés financiers. C’est bien une nouvelle cure d’austérité qu’envisagent ceux qui gouvernent, en témoigne les propos de Bruno Lemaire dans son interview au journal « Les Échos », où il annonce « de la sueur, du sang et des larmes ».

Alors que la Chine a été capable d’endiguer sur son territoire la pandémie du coronavirus en mettant entre parenthèse les exigences de profit, y compris des multinationales étrangères qui y sont implantées, le bras de fer économique et financier va se doubler d’un bras de fer sur le modèle de développement et les systèmes de valeur, avec la question cruciale des services publics et des pouvoirs des salariés et populations sur l’utilisation de l’argent.

Au lieu d’entrer dans une guerre d’attraction des capitaux avec les USA, en faisant un bond en avant dans le fédéralisme et la soumission à la dictature des marchés financiers, l’Europe aurait tout intérêt de préserver et de développer comme jamais son modèle social, contre le modèle anglo-saxon, en utilisant autrement la BCE et l’euro. Elle devrait de même se rapprocher de la Chine pour imposer une alternative à l’hégémonie du dollar via une monnaie commune mondiale de coopération permettant justement une expansion mondiale des services publics (4).

Face à la gravité de la situation l’Europe change son fusil d’épaule. En partie pour répondre à la décision de l’Etat allemand de garantir à hauteur de 550 milliards d’euros, pour commencer, les finances de ses entreprises, la BCE a décidé de s’affranchir de la limite de 33% de rachat du stock de dettes de ses États. Face à la dégradation des budgets publics, elle fait aussi sauter le verrou imposé par la règle des 3% devenus d’ailleurs 2% de déficit public par Etat. Mais elle ne change rien sur le fond. La BCE va en effet racheter des dettes publiques et privées auprès des marchés financiers et cela toujours sans aucun critère d’efficacité sociale. Or c’est tout autre chose qu’il faut. La BCE doit directement financer les États sur des critères précis de relance sociale et de protection de l’environnement et reprendre une partie de leur dette, par exemple celle de l’Hôpital en France, et la placer dans des structures de défaisance dont le montant s’éteindra au fur et à mesure que s’établira une nouvelle croissance. En urgence la BCE doit financer un fonds social et solidaire pour le développement des services publics dans chaque pays de l’UE sur fond d’engagement et de contrôle précis des populations (élus, salariés, citoyens).

Faire le choix du développement des services publics et donc de la relance de la dépense publique c’est utiliser l’argent pour des dépenses utiles contre le gaspillage financier et l’enfoncement dans la crise financière jusqu’au collapsus. La dépense publique, ce sont des emplois créés et rémunérés, donc des consommateurs potentiels. Mais c’est aussi un ensemble d’infrastructures et de travaux à réaliser, à entretenir qui dopent l’activité économique des pays. Financer les services et la dépense publics c’est une conception vertueuse de l’utilisation de l’argent qu’il provienne de la création monétaire des banques, des richesses produites dans les entreprises ou de l’Etat (impôts). C’est mobiliser cet argent pour les besoins humains et écologiques, facteurs incontournables, sous le contrôle des salariés et des citoyens, d’une création nouvelle de richesses pour une croissance au service de toutes et tous et la protection de la planète. C’est décider en soustrayant à l’offre marchande des activités indispensables au développement des potentiels humains, de se doter de la meilleure arme pour combattre la spéculation, la flambée des dividendes et l’accumulation de capital qui aussitôt se lancera à la recherche éperdue de rentabilité. C’est briser le cercle vicieux de la financiarisation de l’économie en évitant que la masse de capitaux accumulés atteigne une différence irréductible avec la valeur de la richesse réelle créée.

Une reprise effective et durable reposera de façon incontestable sur le développement de l’ensemble du secteur public. Elle devra concerner à la fois les administrations, les services, notamment les services bancaires et financiers et certaines activités de production de biens. C’est ainsi que pourra se construire une véritable résistance à la crise économico-financière qui monte et se dessiner une issue réaliste. Impossible en effet de compter, une fois le coronavirus terrassé, sur la reprise en forme de rebond de croissance qui pourra se manifester du fait d’un rattrapage de dépenses ajournées, tant celle-ci risque de se trouver extrêmement fragile, précaire et à nouveau menacée par la guerre monétaro-financière entre États et entre multinationales. 

Seul la création d’un large secteur public dont feront partie certaines entreprises et banques à nationaliser mais avec des critères précis d’efficacité sociale et d’efficience environnementale, sera en capacité de combattre la crise que le coronavirus a révélé et d’en préparer une véritable sortie car posant les fondements d’un autre système vers une nouvelle civilisation de toutes et de tous. Pour être pleinement efficace ce secteur public devra intégrer dans son fonctionnement de nouvelles règles de gestion démocratique associant aux prises de décisions stratégiques dont les moyens de financement, dans des institutions nouvelles, des élus, des représentants des personnels et du patronat, des directions d’administrations et des citoyens.

Moyen de répondre aux besoins de développement des capacités humaines et aux enjeux de protection de l’humanité et de son environnement, les services publics (hôpitaux, médicament, école, culture, énergie, eau, sport, transport -infrastructures routières, fluviales, ferroviaires-, écologie, banques), sont appelés à jouer un rôle essentiel au cours de la période à venir. Le 21ème siècle sera celui de l’expansion des services publics en France, en Europe et dans le monde.

  1. Traité sur la Stabilité le Convergence et la Gouvernance (européenne).
  2. « Modernisation de la Fonction Publique » : plan de restructuration et gel des emplois de la Fonction Publique (Michel Rocard) ; RGPP : Révision Générale des Politiques Publiques, Réate : Réforme de l’administration territoriale de l’Etat, loi NOME sur l’organisation du marché de l’électricité et T2A : Tarification à l’Activité pour financer les établissements hospitaliers (N Sarkozy) ; la loi Notre : Nouvelle organisation territoriale de la République, MAP : Modernisation de l’Action Publique et loi HPST : loi Hôpital, Santé, Territoire de modernisation du système de santé (F Hollande) ; Réforme ferroviaire et CAP 2022 : comité d’action publique pour un nouveau programme d’action publique (E Macron). A cela il faut ajouter les réformes du code du travail, loi El Khomri sous F Hollande puis la Réforme du code du travail la suppression du statut des cheminots, la mise en pièces méthodique du statut de la fonction publique par E Macron… Le compte est bon !
  3. Source : banque mondiale.
  4. Voir la note de conjoncture de Yves Dimicoli du 31 mars 2020