Conjoncture : de chocs en chocs, tout un système en cause

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Au plan mondial, nous ne sommes qu’au début de la pandémie due au Covid-19. Celle-ci a une ampleur, désormais, plus importante dans les pays avancés que dans son foyer d’origine, la Chine, où la progression paraît pour l’heure endiguée, même si la crainte d’une deuxième vague se fait jour. Ce n’est qu’à partir de la fin février en Europe et de la mi-mars aux États-Unis que le phénomène a pris une allure exponentielle caractéristique d’une épidémie, même si, comme on le sait, des éléments d’alerte avaient été donnés, par l’OMS et en France notamment, dés le mois de janvier.

Nous serions donc encore éloignés des pics viraux dont dépendent les dates de levée des mesures de confinement, alors même que la pandémie commence à se propager en Afrique, en Inde et dans toute l’Asie du sud-est.

Pour l’heure, l’un des événements les plus importants tient au fait que, si l’Europe était devenue un temps l’épicentre de la pandémie, il semble bien, désormais, que celui-ci se soit déplacé aux États-Unis, la première économie mondiale. On y observe une progression du phénomène plus rapide que celle observée en Europe, avec une vitesse de contamination analogue à celle constatée en Espagne. Autrement dit, le choc risque d’être considérable outre-Atlantique, où l’affaire a été longtemps sous-estimée.

Les chocs sanitaires sont décalés, mais la plupart des pays touchés ont commencé, après la Chine et quelques pays asiatiques, à adopter de façon quasi-synchrone des mesures de confinement et de limitation de la mobilité des populations affectant ensemble, jusqu’à les paralyser, l’offre et la demande au plan mondial.

Le choc est donc devenu systémique révélant la crise mondiale déjà engagée depuis mi-2019, et entraînant le risque d’une récession de plusieurs points, avec un horizon de sortie de crise d’autant plus incertain que, désormais, après des années de sur-accumulation intense de capital d’inflation accélérée des marchés financiers et de rivalités commerciales, alors que la croissance réelle freinait, se profilent des risque aigus d’amplification systémique d’ordre financier, mais aussi social et politique.

Douze ans après la crise financière, la crise actuelle (sanitaire et économique pour l’heure, avec des effondrements financiers partiels en attendant un collapsus financier plus global), n’est pas une simple répétition de ce qui s’est passé en 2008. Elle est potentiellement beaucoup plus dommageable, l’économie mondiale, et en particulier, celles des pays de l’OCDE, ayant été très gravement abîmée par l’exacerbation de la domination des capitaux financiers qu’ont engendrée les tentatives de réponses capitalistes à l’épisode de 2008.

Elle devrait nécessiter une mobilisation publique de ressources sans précédent, comparable effectivement à celle d’un « temps de guerre » (dépenser sans compter pour mettre fin de façon positive à la tragédie), mais avec un enjeu colossal d’efficacité sociale nouvelle de leur utilisation. Il ne s’agit surtout pas de recommencer, en plus grand, ce qui a été fait en réponse à la crise financière de 2008 et qui, de fait, en renforçant la dictature des marchés financier et le rabougrissement mortifère des dépenses nécessaires au développement des capacités humaines, services publics de santé en tête, a préparé les conditions d’un choc sanitaire aussi dramatiquement violent. A noter que ceci se fait dans des conditions déjà très dégradée au plan de l’endettement, public et privé, et donc d’un moindre potentiel quantitatif de moyens financiers pour faire face. Déjà, les banques centrales semblent avoir déjà mobilisé la même ampleur de moyens financiers qu’aux hautes eaux de la crise financière précédente, alors que la déferlante économique semble encore devant nous. Cela renforce le besoin de prendre un véritable virage pour une autre sélectivité, visant l’efficacité économique et sociale, et d’une autre démocratie sur l’argent.

I – La Chine en première ligne face au tsunami

La production industrielle (en valeur ajoutée) a chuté de 13,5% en glissement annuel sur les deux premiers mois de l’année contre +6,9% en décembre. Ce ralentissement est notamment le fait de la contraction du secteur manufacturier (-15,7% sur les deux premiers mois de 2020 contre +7,0% en décembre) à cause du COVID-19. Rappelons qu’en 2008-2009, la production industrielle avait ralenti de seulement 5 % sur un an.

On note, cependant, que la croissance de la production des entreprises privées est plus impactée par cette épidémie (-20,2% sur les deux premiers mois) que la production des entreprises d’État (-7,9% sur les deux premiers mois).

Les investissements bruts en capital fixe ont également chuté de 24,5% sur les deux premiers mois de 2020 contre +5,4% en 2019, notamment en raison de la contraction des investissements en infrastructures (-30,3% sur les deux premiers mois) et des investissements manufacturiers (-31,5% sur les deux derniers mois).

Les ventes au détail en valeur ont fortement diminué, de 20,5% sur les deux premiers mois contre +8,0% en décembre, principalement en raison de la contraction du chiffre d’affaires des restaurants fermés pendant l’épidémie (-43,1% sur les deux premiers mois contre +9,1% en décembre). Hors secteur automobile qui enregistre une contraction de 37,0% sur les deux premier mois, les ventes au détail ont reculé de 18,9% de janvier-février 2020.

En outre, le taux de chômage urbain s’élève à 6,2% en février 2020, contre 5,2% en décembre 2019, avec seulement 1,08 million nouveaux emplois créés sur les deux premiers mois[1].

La dernière fois que la Chine a subi une telle crise sanitaire (épidémie du SRAS de 2002 – 2003 avec 800 morts, Hong-Kong compris) son économie était toujours en plein essor avec un taux de croissance du PIB de 10%, le plus élevé depuis 1995. Au deuxième trimestre 2003, la croissance avait été sévèrement touchée, tombant à 9,1%, soit 1,3 point de moins que la croissance moyenne des autres trimestres de la même année.

Des signes rassurants de retour à la normale sur le plan économique s’y manifestent aujourd’hui. Si au 19 mars encore, Trivium China[2] indiquait que l’activité nationale tournait à 72,6%, son indice passe à 74,9% au 27 mars. Par contre, l’indice relatif à l’activité des PME est passé, sur la même période, de 71% à 71,4% seulement. Toutefois, beaucoup de grandes entreprises ont annoncé la réouverture de leurs portes, l’indice de Trivium China se situant à 80,1% et de nombreux travailleurs locaux ont retrouvé leur emploi.

Cependant, des risques élevés subsistent. Le nombre de nouvelles infections est notamment en hausse, à mesure que les voyages nationaux et internationaux reprennent. Même en l’absence d’une nouvelle épidémie en Chine, la pandémie en cours est source de risques économiques. Par exemple, étant donné que de plus en plus de pays connaissent des épidémies et que les marchés financiers mondiaux vacillent, les consommateurs et les entreprises pourraient rester méfiants, ce qui ferait baisser la demande mondiale de produits chinois alors même que l’activité économique reprend.

On peut penser, cependant, que l’offre chinoise ne se reconstituera pas immédiatement, tandis que la baisse de la demande chinoise aura un coût non négligeable pour le reste du monde avec un effet possible, en année pleine, de -0,5 point de pourcentage sur le  PIB mondial.

L’impact économique mondial de l’épisode sanitaire de la crise devrait être plus fort que celui dû au SRAS en 2002-203 : la Chine est en effet beaucoup plus intégrée dans l’économie mondiale aujourd’hui avec un poids relatif passé de 6-7% du PIB mondial en 2002 à 17% en 2019. Elle représente aujourd’hui quelque 25% de sa croissance. La demande intérieure chinoise représentait plus de 14% du PIB mondial en 2017. Au cours des deux dernières décennies, la Chine est devenue le principal fournisseur d’intrants intermédiaires pour les entreprises manufacturières à l’étranger. A ce jour, environ 20% du commerce mondial de la fabrication de produits intermédiaires provient en effet, de Chine, contre 4% en 2002[3].

La Chine est un importateur majeur de produits de base. Elle occupe une part très significative des importations des pays capitalistes en divers produits manufacturés essentiels.

Part (en %) de la Chine dans les importations pour certains groupes de produits manufacturés( 2018)

       Allemagne France Euro-zone Japon USA
Fibres et textiles, fils, tissus et vêtements…………..  22,5 25,2 21,1 57,3 36,2
Articles d’ habillement, accessoires vestimentaires 24,5 27,8 22,6 59,0 34,4
Pièces et composants de biens électriques…………… 28,2 31,8 26,1 48,8 46,0
Machines de bureau, machines automatiques de traitement de données……………………………………….. 45,2 43,0 36,1 68,6 53,8

Source : CNUCED

Des chaînes d’approvisionnement seraient vulnérables. Ce serait particulièrement pour le secteur des produits informatiques et électroniques et des équipements électriques :

          USA UE 28 JAPON
Exportations chinoises 24% 14%   11%
Importations chinoises 4%   4%   11%

                                                 Source : BNP-Paribas

Enfin, un décalage important ayant prévalu entre la riposte sanitaire à l’épidémie en Chine et, au rythme de sa contagion au reste du monde, les ripostes sanitaires, d’ailleurs tardives, dans les pays occidentaux, des goulots de capacité apparaissent, notamment dans les ports européens ne pouvant pas accueillir les navires de commerce chinois.

Il paraît ainsi hasardeux, aujourd’hui, de compter sur la Chine pour sortir le monde de la récession, au rebours du rôle qu’elle avait joué en 2009. Ce pays pouvait se permettre alors de mobiliser massivement politiques monétaire et budgétaire pour une relance suffisamment puissante capable de sortir de l’enlisement les pays de l’OCDE. Sa propre relance devrait être plutôt ciblée et devrait éviter d’accentuer les facteurs de surchauffe ou les risques d’éclatement de « bulles », notamment dans l’immobilier.

II – Choc sans précédent pour les économies occidentales en sur-accumulation de capital et fin de cycle de reprise:

1 – Les enquêtes Markit pour l’euro-zone témoignent d’une forte dégradation :

Dans tous les pays touchés par la pandémie, ce sont les services aux personnes qui sont le plus frappés et pénalisent le plus l’activité pour le moment. Ils ne devraient donc pas contribuer à stabiliser la décrue des affaires, étant désormais devenus plus volatiles que le secteur manufacturier.

► Indice PMI flash

Celui concernant l’activité globale chute à 31,4 (51,6 en février), soit le plus faible niveau historique depuis juillet 1998, de quoi préfigurer une baisse du PIB de l’ordre de 2% au 1er trimestre 2020 appelée à s’accentuer par la suite.

L’indice d’activité des services chute à 28,4 (52,6 en février), son plus faible niveau historique depuis juillet 1998.

Pour le secteur manufacturier, l’indice se replie à 39,5 (48,7 en février), plus bas niveau depuis avril 2009 et il se replie à 44,8 (49,2 en février) dans l’industrie manufacturière, plus bas depuis 92 mois.

► La crise sanitaire, s’est aussi traduite par un très fort recul de la demande, le volume des affaires nouvelles ayant enregistré une baisse sans précédent, de même qu’une baisse record du volume global des ventes. La crise a entraîné un quasi arrêt des échanges internationaux, déjà très éprouvés par la guerre commerciale déclarée par Washington contre la Chine.

► Les perspectives d’activité à 12 mois des entreprises privées de la zone euro se sont fortement détériorées jusqu’à un plus bas historique en mars. L’enquête signale des degrés de pessimisme sans précédent.

► On va vers un bond du chômage, malgré la généralisation des dispositifs de chômage partiel, du fait du double choc sur l’offre et la demande. L’évolution de l’emploi devrait, en mars, enregistrer sa plus forte baisse mensuelle depuis juillet 2009.

►Malgré la baisse de la demande, on assisterait au deuxième plus fort allongement mensuel des délais de livraison des fournisseurs depuis 1997, derrière celui observé en 2009.

►Mais l’accentuation des tensions sur les chaînes d’approvisionnement ne se serait pas traduite, comme généralement, par une hausse du prix des intrants. Celle observée en mars s’est accompagnée, semble-t-il, d’une forte chute des coûts : « les entreprises sont poussées par les difficultés actuelles à réduire leurs tarifs afin de soutenir leurs ventes et liquider leurs stocks » souligne l’enquête. Et le phénomène aurait été identique dans les services avec la plus forte baisse des tarifs depuis janvier 2010, cela ayant été en quelque sorte encouragé par la double baisse des frais de personnel et du prix des carburants. Ces données composites sont inquiétantes.

Elles soulignent la chute des niveaux de production et les tendances à la paralysie d’une proportion croissante de l’économie. Simultanément, elles mettent en évidence « les premières baisses des prix moyens facturés par les entreprises privées de la zone euro depuis août 2016 et le plus fort taux de déflation de ces tarifs depuis janvier 2010 ».

Cela laisse-t-il augurer d’une retombée possible en déflation, mais autrement plus grave qu’au cours de la crise des dettes publiques européennes et de l’euro dans la première moitié des années 2010.

2 – La France dans la tourmente :

Dans son dernier point de conjoncture fait dans l’urgence, très bref et assorti de beaucoup de précautions, l’INSEE estime que l’économie française tourne, fin mars, à 35% au-dessous de sa situation normale dans la dernière semaine de mars. L’ajustement à la baisse s’observerait « principalement dans les services ». Cependant, l’institut note des « perspectives inquiétantes dans l’industrie (…) l’ajustement est à venir ».

Le climat des affaires est en repli de 10 points, passant très en dessous de sa moyenne historique. La baisse est particulièrement forte dans la distribution.

Face à cette rapide diminution de l’activité, l’INSEE souligne que « l’emploi se replie fortement », ce qui accentuera la déflation de la demande, alors même que, actuellement, selon l’institut, la consommation des ménages reculerait de 35%, notamment sur les biens industriels. Il ajoute que si le confinement et l’ampleur de ce recul se maintiennent un mois, « alors l’impact sur la croissance annuelle serait de -3% et de -6% si cela durait deux mois ».

On peut noter ici comment la presse patronale en France a immédiatement brandi cette prévision comme une sorte de menace pour que tout soit fait pour lever le plus tôt possible les mesures de confinement (indépendamment des risques d’une nouvelle vague de contamination dont les Chinois eux-mêmes ont peur?).

Macron a suggéré être prêt à accorder un soutien public illimité pour tenir « coûte que coûte » l’économie à flots et maintenir « coûte que coûte » la confiance des marchés financiers. Si, la panoplie de ressources et garanties mobilisées pour soutenir la chaîne des profits s’énonce en plusieurs centaines de milliards d’euros, les dispositifs retenus pour la protection des salariés et de leurs familles paraît bien faibles.

Cela concerne bien sr, en premier lieu, le service public de santé. Mais on peut mesurer aussi que l’enveloppe de 8,5 milliards d’euros accordée pour le chômage partiel va s’avérer très vite insuffisante, d’autant plus qu’elle ne couvre que les salariés des entreprises fermées pour raison sanitaire. En réalité, une première estimation du bureau paritaire de l’UNEDIC arrive à un coût total de 2 à 2,5 milliards d’euros nécessaires par semaine de confinement, sans compter le cas des employés à domicile dont 400 à 900 millions d’euros pour l’UNEDIC.

Le déficit public est donc appeler à s’accroître nettement, bien au -delà de ce que laissent penser les mesures petitement calibrées de la loi de finances rectificative pour 2020 qui ne comporte, en réalité, que 11,5 milliards d’euros de dépenses nouvelles plus ou moins fléchées (chômage partiel, santé, fonds de solidarité). Le gouvernement assure, sur ces bases, que le déficit public ne dépasserait pas 3,9% du PIB cette année, contre 2,2% initialement prévus, cet accroissement de 1,7 points étant dû, selon lui et à hauteur de 1,4 point, à la nouvelle hypothèse de croissance du PIB retenue pour 2020 : -1% contre +1,3%…

Tout cela n’est guère crédible quand on sait que Berlin a retenu comme nouvelle hypothèse de croissance du PIB allemand une chute de 5%, certaines prévisions allant jusqu’à -9% !

On peut mesurer alors, combien, au sortir de l’épisode aigu de la crise sanitaire, au cours duquel le gouvernement ne va pas cesser de rationner les moyens nécessaires à la protection des humains, Macron et son équipe vont tout tenter pour peser sur la demande publique sociale et chercher à garder la confiance des marchés financiers, dans un contexte où, pour garder la bonne grâce de ces derniers, les États vont rivaliser comme jamais. Une austérité renforcée est dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent, en témoigne par exemple l’interview du ministre de l’économie et des finances, Bruno Lemaire, au quotidien Les Échos, commentée par celui-ci comme annonçant « de la sueur, du sang et des larmes ».

3 – Allemagne: plongée en récession profonde :

La principale économie européenne était déjà en stagnation au dernier trimestre 2019, frappée par la chute d’activité en Chine où elle exporte massivement, avec une croissance très minime (0,0279 % par rapport au trimestre précédent selon l’office fédéral des statistiques). Sur l’ensemble de l’année, la croissance n’aura été que de 0,6 %, bien moins que les deux années précédentes.

L’explosion de la crise sanitaire a aggravé massivement et brutalement cette tendance récessive déjà à l’œuvre.

Le ministre de l’économie Peter Altmaier a déclaré, le 17 mars, sur la radio allemande RTL : « Nous nous attendons à une baisse de l’activité économique (cette année) et elle sera au moins aussi élevée qu’en 2008-2009 quand le PIB allemand avait reculé de 5% (…) Je m’attends à ce que nous ayons à affronter les conséquences (de la crise sanitaire)pendant tout le mois d’avril et tout le mois de mai».

De fait, l’indice IFO du climat des affaires en mars 2020 ressort à 86,1 après 96 en février. Le consensus Reuters anticipait 87,7. Cette baisse de 10 points, d’un mois sur l’autre, est la plus forte enregistrée depuis la réunification du pays en 1990, souligne l’organisme. L’indice est au plus bas depuis le mois de juillet 2009.

Les indices IFO des perspectives des entreprises et de la situation actuelle ressortent également en net recul par rapport au mois de février : celui des perspectives des entreprises du mois de mars 2020 ressort ainsi à 79,7 contre 93,1 en février. Les analystes tablaient sur 81,9. Quant à l’indice IFO de la situation actuelle il est de 93 au mois de mars contre 99 au mois de février. Le consensus visait 93,6.

Dans ces conditions, le PIB devrait effectivement se contracter à un rythme de l’ordre de 4% à 6% en taux annualisé. Cette dynamique de récession risque de perdurer, car l’ajustement sur le secteur manufacturier n’a fait que commencer. Il devrait continuer de se contracter et pénaliser l’activité aux deuxième et troisième trimestres.

4 – Italie : en plein naufrage

L’ Italie est le pays de la zone euro le plus lourdement frappé par la pandémie du coronavirus. Au plan économique, une catastrophe se profile, alors même que, dès avant ce choc, depuis début 2018, ce pays connaissait une activité réduite. Par ailleurs, il va beaucoup souffrir de la récession en Allemagne vers laquelle il exporte beaucoup : ces exportations représentent environ 13% du total.

Pour l’agence de notation Cerved, la propagation du coronavirus constituerait le pire choc pour l’économie italienne depuis la Seconde Guerre mondiale. Le chiffre d’affaires des entreprises italiennes pourrait tomber en moyenne de 17%. Le tourisme et l’automobile sont les secteurs les plus touchés.

Pour la grosse majorité de quelque 750 000 petites et moyennes entreprises (PME) italiennes, la situation est catastrophique. Si la crise sanitaire se prolongeait jusqu’à la fin de l’année, elles pourraient perdre jusqu’à 650 milliards d’euros.

Deuxième plus élevée de la zone euro (en ratio), derrière celle de la Grèce, la dette publique italienne, à 134,8% en 2018, devrait progresser à 136,2% du PIB en 2019, puis à 136,8% en 2020 et à 137,4% en 2021, selon les chiffres de la Commission européenne. Côté déficit public, la Commission tablait sur un chiffre stable en 2019 : -2,2% du PIB (après -2,2% en 2018), puis un nouveau creusement à 2,3% en 2020, et à 2,7% en 2021.

Il est clair que le besoin absolu d’intervention publique contre la dépression va faire exploser ces ratios.

5 – Espagne : la rechute

Alors que ce pays tablait, il y a un peu plus d’un mois encore, sur une croissance de 1,6 % du PIB et sur une baisse soutenue du nombre de chômeurs, la pandémie risque de le naufrager.

Deuxième principal foyer de malades du Covid-19 d’Europe, avec Madrid pour épicentre, l’Espagne voit son  secteur touristique tomber en dépression, alors qu’il représente 12 % du PIB et 13 % de l’emploi. Les constructeurs automobiles ont annoncé les uns après les autres la paralysie de leurs usines. Dans tout le royaume, l’activité s’est réduite au maximum, bien que le gouvernement ait appelé à favoriser le télétravail.

Dans ce pays, vanté naguère pour l’agressivité de sa riposte au désastre de 2008 par l’exportation et l’abaissement du « coût du travail », au détriment de ses partenaires européens du sud,  on compte encore officiellement 14 % de chômeurs, une masse considérable d’emplois ultra-précaires et une dette publique de 95% du PIB (contre 40% en 2009). Le choc actuel fait planer la menace d’une crise économique et sociale de très grande envergure et une nouvelle progression très vive du ratio d’endettement public.

6 – États-Unis : nouvel épicentre de la crise sanitaire, baril de poudre financier

Aux États-Unis, le nombre de contaminés au Covid-19 augmente à un rythme exponentiel. Il a presque doublé en quatre jours, passant de 65 778 le 25 mars à 121 478 le 28 mars. 
Le nombre de décès a plus que doublé en trois jours outre-Atlantique. 
L’absence de prise de conscience de la gravité de l’épidémie à la Maison Blanche va être très pénalisante pour les États-Unis. Moins de la moitié des États sont confinés et la Maison Blanche ne veut pas franchir le cap pour prendre une telle mesure à l’échelle fédérale. 
Tant que la contamination progresse à un rythme aussi élevé, la Fed ou le gouvernement peuvent mettre tous les moyens qu’ils veulent cela manquera dramatiquement d’efficacité.

Le 20 mars le nombre d’inscriptions au chômage se chiffrait à 3 238 000 (282 000 la semaine  précédente). 
Jamais dans l’histoire de cette statistique, paraissant depuis janvier 1967, une telle rupture avait été observée. Le plus haut précédent était le 1er octobre 1982 avec un nombre d’inscrits de 695 000. 
Cet indicateur hebdomadaire est un bon signal sur l’allure du cycle américain et le chiffre du 20 mars suggère une véritable dépression plus qu’une récession[4]

Le rapport de l’emploi du mois de mars pourrait indiquer plus de 800 000 destructions d’emplois. Ces données seraient aussi compatibles avec un repli sur un an du PIB américain dans une fourchette entre -4% et -5%.

La raison principale de cette brutale hausse des inscriptions au chômage est à trouver dans l’impact du coronavirus sur un pays où les services publics et la protection sociale publique obligatoire sont insignifiants. La plus forte hausse cumulée est associée aux états ayant le plus de contaminés. 

Sur la semaine allant du 13 au 20 mars, le nombre de contaminés confirmés est passé de 2 179 à 19 100. C’est beaucoup, mais peu par rapport à l’évolution observée depuis : le 26 mars, le nombre de contaminés confirmés outre-atlantique passe à 83 836 !
Cela implique que le nombre d’inscriptions hebdomadaires au chômage va encore progresser très rapidement dans la semaine du 21 au 27 mars.

Selon Goldman Sachs, « même les hypothèses les plus prudentes suggèrent que les demandes d’allocation chômage devraient être supérieures au million, ce qui dépasserait facilement le niveau le plus élevé jamais enregistré de 695 000 en 1982 ».

La contraction de l’emploi pourrait atteindre l’ampleur observée  en 2008. Mais en un seul coup. On peut anticiper quelques 800 000 suppressions d’emplois, peut-être plus….Un tel repli de l’emploi va se traduire par une contraction rapide de l’activité. Le PIB pourrait se contracter sur un an de 4 à 6%, suite à cet effondrement au deuxième trimestre.

Le dernier aspect de ce rapport sur les inscriptions au chômage est l’impact politique qu’il aura. On relève que c’est dans les États qui ont voté Trump en 2016 que les ajustements sont, en moyenne, les plus importants. Dans les États ayant voté Républicains, les inscriptions hebdomadaires ont augmenté de 1 478 000 alors que dans les États ayant voté démocrate la hausse est de 1 169 000. Les États industriels sont très touchés, ce sont ceux qui avaient voté en 2016 pour le locataire actuel de la Maison Blanche. Si la crise s’accentue en raison de la propagation du Covid-19, la situation pourrait encore s’aggraver dans ces États et pénaliser le vote républicain le 3 novembre prochain.

L’activité du secteur privé aux États-Unis s’était déjà contractée en février. L’indice  PMI « Flash » des services avait reculé à 49,4, son plus bas niveau depuis octobre 2013 et traduisait la première baisse d’activité depuis 2018 pour ce secteur qui représente environ les deux tiers de l’activité économique des USA ; et cela alors que le consensus Reuters prévoyait une moyenne de 53 après 53,4 en janvier.

Dans le secteur manufacturier, le PMI  « Flash » ressortait à 50,8, son plus bas niveau depuis août, après 51,9 en janvier contre 51,5 attendu généralement.

Le choc va être particulièrement violent pour les producteurs d’hydrocarbures de schistes très lourdement endettés. En effet, en décidant d’inonder le marché mondial, alors que la demande chute brutalement, l’Arabie saoudite (avec l’accord tacite des russes), pour casser les reins de ces producteurs et reprendre des parts de marché aux États-Unis devenus 1er producteur mondial, a suscité un effondrement des prix du brut.

Cette déflagration ne se produit pas dans un ciel serein. L’économie américaine arrivait au bout du plus long cycle de reprise de son histoire construit au détriment du reste du monde. Grâce aux privilèges du dollar et à la formidable avance technologique ainsi acquise il a donné lieu à une gigantesque sur-accumulation de capitaux matériels et surtout financiers prête à exploser .

7 – Afrique-Moyen Orient : coronavirus et effondrement des prix du pétrole 

Le Covid-19 a commencé d’affecter les économies de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) à travers quatre grands canaux économiques (sans compter les politiques de fermeture renforcées à l’immigration et de rejet des réfugiés ou des sans-papiers) :

  • directement, en contaminant les populations, si déshéritées, si nombreuses, si écrasées par les « plans d’ajustement structurel »(PAS), ravagées par les guerres, les famines les gigantesques migrations de survie,
  • indirectement, en touchant les  prix du pétrole,
  • en désorganisant les chaînes de valeur,
  • en mettant le tourisme au point mort.

Une grande catastrophe se prépare qui mériterait, pour commencer d’y faire face, de lancer un véritable plan Marshall sans domination pour ces pays avec des dons en monnaie des banques centrales occidentales leur permettant de s’équiper et de se former, à commencer par la BCE.

Du fait de leur dépendance aux exportations de pétrole et de gaz, c’est principalement à travers un fléchissement des cours des hydrocarbures que les pays de la région MENA ressentiront les effets du coronavirus. Depuis l’apparition du Covid-19 et la hausse des infections en Chine au début de l’année 2020, les cours du pétrole ont dévissé. Le baril de brent a plongé, passant de 68,90 dollars au 1er janvier à à peine  20 euro au 30 mars.

Anticipant les effets négatifs du coronavirus sur la demande, les contrats à terme de pétrole brut ont chuté d’environ 20 dollars le baril pendant les deux premiers mois de l’année. l’effondrement brutal de la demande provenant de la Chine, Pékin ayant été contraint de fermer les sites de production pour tenter de contenir l’épidémie, a porté un très rude coup à ces économies.

Selon l’édition de février du « Oil Market Report » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le marché chinois représente actuellement 14 % de la demande mondiale de pétrole et la hausse de la demande chinoise est responsable, ces dernières années, de plus de 75 % de la progression de la demande à l’échelle mondiale (AIE, 2020).

Sans compter que, du fait de son rôle croissant dans l’économie mondiale, tout revers de l’économie chinoise risque d’avoir des retombées négatives sensibles pour l’activité dans le reste du monde. L’inquiétude et les incertitudes liées à la propagation du virus dans le monde pourraient bien affecter les décisions d’investissement en Chine et ailleurs et, ce faisant, continuer de tirer les cours du pétrole vers le bas. L’AIE prévoit une chute de la demande mondiale de pétrole de 435 000 barils par jour au premier trimestre 2020 (en glissement annuel) — une première depuis plus d’une décennie. Sur l’année 2020, la demande mondiale devrait enregistrer sa pire performance depuis 2011, en reculant de 365 000 barils/jour.

8 – Commerce et tourisme internationaux très affectés

► Tourisme international

L’Organisation mondiale du tourisme (OMT), une institution spécialisée de l’ONU, a souligné que les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 sont, non seulement sans précédent, mais « d’une ampleur inouïe ». Elle a en effet fait état de prévisions catastrophiques : une baisse attendue de 20 % à 30 % pourrait faire diminuer les recettes du tourisme international (exportations) dans des proportions comprises entre 300 et 450 milliards de dollars, soit près d’un tiers des 1 500 milliards de dollars de recettes générées en 2019. Compte tenu des tendances passées du marché, la COVID-19 ferait perdre de cinq à sept ans de croissance. Pour remettre la situation en perspective, l’OMT fait observer qu’en 2009, avec la crise économique mondiale, les arrivées de touristes internationaux ont baissé de 4 %, et que la flambée de SRAS a provoqué un repli de juste 0,4 % en 2003.

L’organisation s’attend désormais à une baisse des arrivées de touristes internationaux de 20 % à 30 % par rapport au total de 2019 (1,5 milliard d’arrivées), sachant qu’elle prévoyait, en tout début d’année, un taux de croissance pour 2020 analogue à celui de l’an dernier, soit +4 %.

► Transports aériens

L’association internationale des transporteurs aériens (IATA) estime que les pertes pour les seules compagnies asiatiques pourraient s’élever à près de 28 milliards de dollars cette année. L’organisation redoute la « première baisse mondiale » des réservations depuis 2008-2009.

Selon l’association, qui regroupe 290 compagnies aériennes, la baisse nette du nombre de passagers par rapport à 2019 pourrait être de 8,2% dans la région Asie-Pacifique. Plusieurs compagnies aériennes, dont Air France, British Airways, Air Canada, Lufthansa ou Delta, ont par ailleurs suspendu leurs vols vers la Chine continentale en raison de l’épidémie.

►Transports maritimes

Le secteur du transport maritime subit de plein fouet les conséquences de la pandémie du nouveau coronavirus, compliquant notamment l’acheminement des marchandises. Or selon la CNUCED, les restrictions au commerce et au transport transfrontalier peuvent interrompre l’aide et le soutien technique nécessaires. Elles pourraient perturber les entreprises et avoir des effets sociaux et économiques négatifs sur les pays touchés. De façon générale, la marine marchande est en effet un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement de nombreux produits du quotidien vendus dans les supermarchés.

Selon les statistiques de la CNUCED, environ 80% du commerce mondial est transporté par le transport maritime commercial. Ces marchandises vont des matières premières telles que le charbon et le minerai de fer, le pétrole, le gaz transportés en vrac, aux produits manufacturés intermédiaires et finis transportés en conteneurs.

Face à la pandémie actuelle, les mouvements transfrontaliers de biens de secours tels que les denrées alimentaires et les fournitures médicales vont naturellement augmenter de manière spectaculaire. « Il s’agit d’articles nécessaires au maintien de nombreux emplois dans le secteur manufacturier, sans lesquels la société moderne ne peut pas fonctionner », insiste l’agence onusienne.

9 – Vers une reconfiguration des chaînes mondiales d’activité des multinationales et une mise en concurrence accrue des peuples?

La crise sanitaire mondiale résulte du type de mondialisation à l’œuvre depuis le début des années 1980. Elle vient percuter, après d’autres événements majeurs comme celui de Fukushima, l’extrême fragmentation des chaînes d’activité et de valeur des multinationales.

Elle pourrait accélérer un mouvement accru de régionalisation de la mondialisation, engagé bien avant le choc pandémique, qui n’ira pas sans problèmes ni tensions, notamment du fait de l’extrême agressivité commerciale des dirigeants américains vis à vis de la Chine, mais aussi de l’Europe.

Le thème de la « relocalisation » pourrait être ainsi mis en avant, de façon national-populiste, sans aucune préoccupation pour les dégâts sociaux engendrés dans les pays ciblés, y compris pour faire accepter des augmentations de prix finals aux consommateurs qui profiteront aux multinationales. Or ce sont elles les responsables des délocalisations encouragées par les États.

Les mouvements enregistrés sur les investissements directs étrangers (IDE) au cours de cette période très incertaine doivent être suivis avec attention.

Selon la CNUCED, la pression à la baisse des IDE, dans cette période, pourrait être de -30% à -40% en 2020 – 2021. Or, début mars, elle estimait encore que la croissance des IDE ne reculerait que de -5% à -15%, tandis qu’en janvier elle avait retenue l’hypothèse d’une stabilité.

Selon cet organisme, les investissements en actifs fixes auraient chuté de 24,5% en Chine au cours des deux premiers mois de 2020. Elle annonce aussi que les 5 000 premières multinationales, qui représentent une part très importante des IDE, ont révisé à la baisse de 30% leurs estimations de « revenu » pour 2020. Cette tendance devrait se poursuivre.

Les industries les plus touchées sont :

  • Énergie et matériaux de base (-208% pour l’énergie avec le choc supplémentaire de  l’effondrement des prix du brut) ;
  • Compagnies aériennes (-116%) ;
  • Industrie automobile (-47%).

III – Des différences et une continuité avec l’épisode de 2008

1 – Plusieurs canaux de transmission des chocs:

a – Un canal « historique » d’offre, de demande, financier et démocratique : toutes les politiques conduites depuis 2008 – 2009, en Europe particulièrement, ont mis de gigantesques masses de liquidités à la disposition des marchés financiers, accentué l’austérité, miné les revenus et le pouvoir d’achat des salariés, dont les contrats sont en outre très précarisés, détruit systématiquement les services publics et réduit comme peau de chagrin droits, pouvoirs et libertés des travailleurs et citoyens (on peut penser notamment en France à la réforme réactionnaire du code du travail, la disparition des CE, des CHSCT…).

b – le canal de l’offre : Fermeture ou quasi-arrêt d’activités du fait du confinement avec un lourd impact sur l’emploi précaire ; contraction des possibilités de distribution des commerces spécialisés avec des conséquences sur les filières de production de biens durables et de consommation courante ; dégradation des marges et de la trésorerie accompagnée de faillites et chômage ; pénuries de main d’œuvre liée aux confinements et mises en quarantaine partiellement compensées par le télétravail ; rupture partielle de chaînes d’approvisionnement et chute du fret entraînant des risques de pénurie et des augmentations de prix de certains produits.

c – le canal de la demande : Gel des embauches et des investissements, hausse du chômage, particulièrement dans les services exposés au confinement et où les suppressions d’emploi risquent de déborder les capacités d’absorption des dispositifs de chômage partiel ; ralentissement de la consommation des ménages et augmentation d’une épargne forcée, mais aussi de précaution  ; ralentissement de la demande mondiale adressée aux secteurs exportateurs engendrant un effet récessif du commerce international et des problèmes d’approvisionnement.

Il faudrait aussi examiner l’impact sur les filiales étrangères des groupes français et sur les comptes consolidés des groupes implantés en France avec les risques importants que cela pourrait avoir sur l’emploi.

Il faudra aussi examiner l’impact réel de la baisse des prix du brut. Normalement, cela aurait dû entraîner un transfert de pouvoir d’achat des pays producteurs aux pays consommateurs. Mais aujourd’hui, la demande n’est pas en mesure de réagir de façon significative du fait des mesures de confinement et des interdictions de voyager de partout sur la planète.

On peut donc estimer que l’effet baisse des prix du brut risque d’être surtout négatif, y compris pour les pays consommateurs riches comme la France, du fait des restrictions de la demande qui leur est adressée par les pays producteurs et des risques de migration de survie accrue hors de ces pays – surtout les plus peuplés – frappés par l’impact violemment récessif de ces évolutions.

2 – Vers un collapsus avec l’explosion de la sur-accumulation financière ?

Le marché de la prévision économique est rempli comme jamais de vendeurs d’illusions et de faux prophètes. Comme en 2008 on en appelle encore et toujours plus aux interventions étatiques et supra-étatiques, mais en partant du principe que rien de fondamental ne doit changer dans les règles, les critères, les institutions qui déterminent le comportement des acteurs du marché, entreprises et banques en tête.

► L’illusion d’un retour rapide à « la normale »

Sur ces bases, beaucoup affirment qu’il faut faire le dos rond en attendant « l’euphorie » (Bouzou et Cette dans Les Échos) qu’engendrera inéluctablement, selon eux, la sortie de la crise sanitaire, sans d’ailleurs se préoccuper des risques de rechute épidémique.

Comme en 2008 on voit ces observateurs deviser longuement sur la forme de la reprise en V, en U, en L, en W…

Le scénario retenu par l’OCDE[5] témoigne de cet optimisme malgré les morts qui s’accumulent et l’orage qui gronde sur les marchés. Pour cette institution non onusienne, tout est de la faute du coronavirus car « la croissance était faible, mais se stabilisait ».

Certes, des difficultés sont à attendre pour 2020, mais 2021 sera l’année du rebond. Que l’on en juge :

Croissance réelle du PIB g.a. (%)

  2019 2020 2021
Monde 2,9 2,4 3,3
 G-20 3,1 2,7 3,5
 USA 2,3 1,9 2,1
 Japon 0,7 0,2 0,7
 UK 1,4 0,8 0,8
 Zone euro 1,2 0,8 1,2
 Allemagne 0,6 0,3 0,9
 France 1,3 0,9 1,4
 Italie 0,2 0,0 0,5
 Chine 6,1 4,9 6,4

La directrice générale du FMI, qui s’est prononcée plus tard il est vrai, a quant à elle déclaré  que la pandémie de coronavirus, qui touche désormais la planète entière, va provoquer «une récession au moins aussi grave que celle observée durant la crise financière mondiale [de2009] sinon pire». Tandis que Christine Lagarde, au nom de la BCE, s’attend, elle, à « une contraction considérable de l’activité dans la zone euro ».

Mais cette contraction de l’activité sera-t-elle équivalente à celle de 2009, année qui a suivi l’éclatement de la crise financière ? À cette époque, le PIB mondial avait baissé de 0,6%, selon les données du FMI, mais surtout de 3,2% pour les économies avancées et de 4,1% pour les pays de la zone euro.

Les avis semblent converger : avec le rebond chinois qui déjà s’annoncerait et la fin, sans doute assez proche nous prédit-on, du confinement en occident, l’économie mondiale va pourvoir repartir rapidement vers une trajectoire confortable, pour peu que les marchés financiers ne déraillent pas et que la confiance dans les perspectives de rentabilité reprennent le dessus. Aux États et banques centrales de « faire ce qu’il faut » !

► Vers une grave crise financière et monétaire ?

Mais, contrairement à la crise de 2008 où les banques était en panne et en recherche fébrile de liquidités, empoisonnées par des emprunts toxiques titrisés, le problème est désormais directement celui de la liquidité des entreprises, ce qui, soit dit en passant va finir par poser le problème de l’accès à la liquidité des banques aussi et, notamment, à la liquidité en dollars.

Les banques centrales ont commencé par baisser ensemble les taux directeurs, avec, notamment, un recul de 50 points de base puis de 1% de la part de la Fed. Cela n’a guère paru rassurer les marchés financiers qui ont manifesté, très vite, qu’ils attendaient beaucoup plus qu’une simple réédition de ce qui fut fait au lendemain de la faillite de Lehman Brothers.

La FED a alors décidé de porter un très grand coup : achat de dette d’État, mais aussi de dettes d’entreprises ainsi que de dettes associées au marché immobilier et aux crédits à la consommation ; possibilité de se substituer aux banques si un de leur client (ménage) se trouve dans l’incapacité de rembourser certaines échéances de ses crédits et de même pour ce qui concerne les immeubles titrisés, face à une crise des loyers; achats possible de dettes d’entreprises dont la notation est dégradée (jusqu’à BBB*) pour éviter le basculement dans la catégorie de titres pourris (« junk bonds »).

Bref, comme le note un expert de Natixis, « la Fed est en train de devenir le préteur en dernier ressort de l’économie réelle« [6] par-delà l’intermédiation des banques.

La BCE, a agit après quelques hésitations et une « faute de communication » grave, révélant en fait le fond la pensée de la présidente de la BCE[7]. L’institution de Francfort a annoncé un total de plus de 1 000 milliards d’achats d’obligations d’ici à fin 2020 (soit plus de 10% du PIB de la zone euro). Surtout, dérogeant aux règles d’airain figurant dans ses statuts, elle a décidé de transgresser l’interdiction de racheter plus de 33% d’une tranche d’émission de bons du Trésor mis sur le marché par un État membre de l’Euro-zone. Elle peut donc désormais racheter sans limite la dette d’un État (mais elle va plus loin encore en abaissant la limite de maturité des instruments qu’elle peut inscrire à son bilan à seulement 70 jours).

Cette décision double celle des États membres de ne plus respecter les normes de déficit et de dette publique de Maastricht (en attendant d’y revenir, comme l’ont suggéré des dirigeants allemands, quand la situation sera redevenue « normale »). Elle marche de pair avec la décision, sans précédent, de l’Allemagne de rompre transitoirement avec sa limitation constitutionnelle des déficits et dettes publics et rend possible l’achat par la BCE d’une large part des 156 milliards d’euros que Berlin s’apprête à emprunter sur les marchés pour financer son plan de « relance » de 1 100 milliards d’euros.

Certes, les marchés ont rebondi fortement après ces annonces pendant quelques jours d’euphorie, avant de se mettre de nouveau à hésiter, le VIX, indice du stress des marchés retournant vers les plus hauts niveaux.

Les Banques centrales sont comme jamais entre les mains des marchés et se sont félicitées des décisions des États d’entrer massivement, à leur tour, dans le soutien des chaînes de profits et de l’activité, annonçant un bond en avant sans précédent dans les endettements publics auprès des marchés financiers sur lesquels ils demeurent notés.

D’où l’importance de la tenue des marchés au sortir de la crise sanitaire et de l’évolution des taux d’intérêt à long terme dont sont assorties les obligations d’État. Certes, ils sont toujours très bas, en écho aux tendances déflationnistes et du fait de la gigantesque trappe à liquidités ouverte depuis 2009.

Mais les facteurs de tensions s’accumulent sur les marchés obligataires à mesure que se précisent une relance formidable des endettements publics et que les potentiels de créances irrécouvrables s’accumulent dans les bilans bancaires avec les perspectives de faillites.

Dans une récente note ( « Où seront les taux d’intérêt à long terme après la crise ? », Flash Économie, 376, 2 »/03/2020) P. Artus esquisse les contours de ce qui pourrait devenir une véritable guerre monétaro-financière entre les USA et la zone euro, si celle-ci décide de l’engager, comme ce serait le cas avec le lancement d’emprunts massifs en eurobonds, titres financiers appelés, dans ces circonstances, « coronabonds » pour leur donner une parure éthique.

Des forces contraires vont en effet jouer pour chercher à financer les « relances » en gardant la confiance des marchés :

  • Les annonces de la Fed et de la BCE laissent prévoir un gonflement très important de leur bilan respectif. Cela devrait tirer les taux à long terme vers le bas ;
  • Les finances publiques des États-Unis et des pays de la zone euro vont se détériorer, ce qui devrait pousser vers le haut les taux à long terme ;
  • Si s’accélère sensiblement le mouvement de régionalisation des chaînes d’activités mondiales des multinationales avec « relocalisations » dans les pays avancés, au détriment des pays à bas coûts salariaux, cela pourrait avoir un effet inflationniste et pousser, donc, au relèvement des taux d’intérêt.

Mais il faut aussi tenir compte de l’évolution des prix du pétrole dans la conjoncture de sortie de crise sanitaire et de rivalités pour la relance, ce que ne fait pas P. Artus. En effet, les très bas prix actuels du brut ne vont faire qu’accroître la baisse des investissements et l’accélération des faillites et désinvestissements dans ce secteur. On peut alors penser que la reprise de la demande mondiale pourrait buter sur des goulots de capacités, ce qui entraînerait une hausse des prix encourageant celle des taux d’intérêt à long terme.

Dans la situation qui se profile, on mesure les immenses facteurs de vulnérabilité des pays de la zone euro, en particulier la France, seul pays où l’endettement des entreprises a continué de nettement progresser après le choc de 2008-2009. En zone euro, en effet, les entreprises sont financées surtout à partir du crédit des banques. Or, nombre d’entre elles, gravement handicapées par l’insuffisance de la demande et des qualifications, continuent d’exister grâce aux très bas taux d’intérêt. Par ailleurs, l’Italie apparaît porteuse désormais d’un risque de difficultés financières aussi importantes relativement que le fut la Grèce. Recommencer un scénario à la grecque avec ce pays conduirait à l’explosion de la zone euro.

Mais il faut aussi, désormais, mesurer les facteurs de vulnérabilité des États-Unis.

D’abord, il faut noter la faiblesse de son système de santé, la minceur de l’indemnisation du chômage alors que les entreprises disposent de toute liberté pour réagir très brutalement en cas de difficultés, en taillant dans  l’emploi. Et les défauts sur crédits immobiliers vont beaucoup augmenter avec le chômage, de même que pour ce qui concerne la dette étudiante.

Par ailleurs, les entreprises y sont surtout financées par le marché obligataire et nombre d’entreprise surendettées, notamment pétrolières, se retrouvent cotées sur le marché dit du « high yield»[8]  ou « haut rendement », très spéculatif.

Or, l’encours d’obligations dans le bilan des entreprises non financières, outre-Atlantique, est déjà passé de moins de 20% en 2007 à près de 30% en 2019, et dans cet ensemble l’encours des obligations d’entreprise à « haut rendement »  a été multiplié par près de 4 entre le troisième trimestre 2008 et aujourd’hui. L’encours  approche les 1 100 milliards de dollars sur un total de 10 000 milliards de dollars de dettes d’entreprises. Or, dans la situation actuelle, les taux de défaut ne cessent d’augmenter sur ce marché « high yield ».

Par ailleurs, l’énorme dette publique des États-Unis va plus que jamais solliciter la liquidité du dollar à un moment où tous les endettés en dollar du monde vont eux-même se précipiter pour la solliciter. Les risques sur le dollar vont augmenter.

Alors que la Chine s’est montrée capable d’endiguer la pandémie due au coronavirus en mettant entre parenthèse les exigences de profit, y compris des multinationales étrangères qui y sont implantées, le bras de fer économique et financier va se doubler d’un bras de fer sur le modèle de développement et les systèmes de valeur, avec la question cruciale des services publics et des pouvoirs des salariés et populations sur l’utilisation de l’argent.

 Au lieu d’entrer dans une guerre d’attraction des capitaux avec les États-Unis, en faisant un bond en avant dans le fédéralisme et la soumission à la dictature des marchés financiers, l’Europe devrait au contraire préserver et développer comme jamais son modèle social, contre le modèle anglo-saxon, en utilisant autrement la BCE et l’euro, et se rapprocher de la Chine pour imposer une alternative à l’hégémonie du dollar via une monnaie commune mondiale de coopération.

Quoi qu’il en soit, tout semble indiquer que l’on va vers des convulsions violentes.

Si reprise il y a, une fois le coronavirus terrassé, du fait d’un rattrapage de dépenses ajournées, celle-ci risque d’être extrêmement précaire et menacée par la guerre monétaro-financière entre États et entre multinationales.

Le déclenchement d’un super krach pourrait faire basculer le monde entier dans une dépression durable dont la conjuration exigera des luttes pour des changements très profonds chacun chez soi et avec les autres. La prétendue « démondialisation » est moins que jamais la solution.

[1]    Direction générale du Trésor : Brèves hebdomadaires du Service économique régional de Pékin, semaine du 16/03.

[2]    Https://triviumchina.com:.

[3]    CNUCED.

[4]    Waechter P. : « La plus grande rupture de l’économie américaine », 27 mars 2020, ostrum.philippewaechter.com.

[5]    Perspectives économiques de l’OCDE : « Coronavirus : l’économie mondiale menacée » rapport intermédiaire, mars 2020.

[6]    Friedman J.J. : « A monde exceptionnel, mesures exceptionnelles », Natixis recherche économique, 26/03:2020

[7]    Le17 mars, alors que l’Italie se débattait déjà face à la pandémie et que ses dirigeants laissaient entendre qu’il ne pouvait p^lus être question de rester dans les clous de Maastricht, faisant s’accentuer la pression des marchés financiers sur le financement de la dette publique italienne, Christine Lagarde a déclaré : « La BCE n’est pas là pour resserrer le “spread” », celui-ci étant l’écart entre le taux des obligations allemandes, jugées les plus sûres, et celui des autres pays de la zone euro . Cela a immédiatement entraîné un décrochage des bourses.

[8]   Il rassemble les émissions obligataires des entreprises bénéficiant d’une notation allant de BB+ pour les mieux notées à D pour celles en situation de défaut. En raison des risques qu’elles comportent, elles offrent ainsi un rendement supérieur à ceux pratiqués sur le compartiment «Investment Grade» (valeurs disposant d’une notation allant de AAA à BBB-).